Ma première fois à grimper une fissure à Squamish (et autres émerveillements d'escalade dans l'Ouest canadien)

Grimper une fissure pour la 1ere fois (et autres émerveillements dans l’Ouest canadien)

Récit

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Alors que l'air automnal fait doucement son chemin jusqu'au sommet de nos parois préférées, plusieurs grimpeurs profiteront de cette saison pour se lancer dans de nouveaux projets. Vanessa nous raconte l'une de ses premières fois préférées: cette journée où elle escalade une fissure aux Smoke Bluffs à Squamish.

L’été tend doucement vers l’orangé. Après avoir couru la fraîcheur des sous-bois et la grimpe aux petites heures, la communauté traquera bientôt le soleil et les parois franc sud pour un bout de caillou où poser ses chaussons. Munie de hot shots, d’optimisme et d’une bonne part de masochisme, elle renoue avec la belle saison.

L’automne s’apprivoise comme on découvre la roche à sa toute première sortie : avec fascination et humilité. Au-delà des coloris surréels dont se parent le Lac Long et Charlevoix, la saison qui mène à l’hibernation est riche en premières fois mémorables. Ces histoires improbables sont souvent celles qu’on se plaît le plus à raconter.

Je pense à la première fois où j’ai tapé une guêpe avec grande détermination (heureusement, c’est aussi la dernière fois).

Je pense à mon premier Trad Pow-Wow aux Grands-Jardins, entourée de grimpeurs d’escalade traditionnelle, à grimper La Directe de l’Ours sous une bruine glaciale.

Mais je pense surtout à la première fois où j’ai coincé mes pieds dans une fissure.

C’était le 5 septembre 2017. Yoann et moi avions quitté le Québec depuis 51 jours à bord d’une van aménagée après ce que j’aime qualifier de « camp de jour de menuiserie non consensuel ». Nous étions arrivés à Squamish deux jours plus tôt : la chaleur de l’Okanagan (et le chialage que ça déclenche chez moi) nous avait incités à quitter pour la fraîcheur du Pacifique. Nous commencions à développer des habitudes qui se consolideraient au fil des 365 jours que durerait notre périple, mais nous n’en étions pas encore à collectionner les verres de café vides pour voler l’internet au Starbucks (je ne vous ai pas dit de faire ça). 

À Squamish, c’est la démesure qui me reste en tête plus qu’autre chose. Le Chief dont la seule apparence impose le respect, la flore aux proportions hallucinantes, les saumons qui remontent la Mamquam River pour frayer (et mourir) : tout est plus grand que nature et donne l’impression d’évoluer dans un univers parallèle. Quand je me revois perchée à quelques longueurs du sol, au milieu du Apron, c’est le sentiment qui me revient et qui me manque terriblement aujourd’hui. 

Ce jour-là, le soleil était dissimulé derrière un écran de fumée comme cela se produisait fréquemment depuis les Rocheuses. Les quelques degrés en moins au thermomètre nous avaient donné le coup de pied nécessaire pour sortir du bois et s’aventurer aux Smoke Bluffs, un parc débordant de voies classiques d’une longueur, en plus d’être à distance de marche du centre-ville. C’est un secteur très fréquenté, et avec raison! Pour l’anecdote, c’est aux Smoke Bluffs qu’Alex Honnold a grimpé/dégrimpé en solo intégral 138 des 290 longueurs qu’il s’était lancé le défi d’enchaîner le jour de son 29e anniversaire. Oui, en une seule journée. À chacun sa leçon d’humilité?

Assise au pied de Corner Crack (5.8), je me laissais enrubanner les mains de tape blanc. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour cette première expérience de craque. Puis, Yoann est parti le premier, s’est faufilé le long de la fissure avec la grâce d’un chat en posant des protections qu’il me faudrait retirer à sa suite.

« À Squamish, c’est la démesure qui me reste en tête plus qu’autre chose. Le Chief dont la seule apparence impose le respect, la flore aux proportions hallucinantes, les saumons qui remontent la Mamquam River pour frayer (et mourir) : tout est plus grand que nature et donne l’impression d’évoluer dans un univers parallèle. »

Assuré!

C’était à mon tour. On m’avait avertie que grimper de la crack serait difficile, mais j’étais prête. Armée de ma logique infaillible de grimpeuse fraîchement sortie du gym, j’avais chaussé mes katanas bien serrés. Des chaussons agressifs pour une voie difficile! 

Première erreur. 

J’ai coincé maladroitement une main dans la fissure et, suivant les conseils de Yoann, ai fait de même avec mon pied. Ça tenait. C’était même drôlement solide. J’ai donc transféré mon poids sur le pied coincé en quittant le sol : aussitôt la douleur s’est mise à irradier tout mon pied. Était-ce normal? J’ai coincé l’autre pied plus haut pour mettre fin au supplice : la grimpe devenait une course vers la promesse d’un répit. Plus j’avais mal, plus je grimpais vite. Plus je grimpais vite, plus j’avais mal. Je découvrais un paradoxe intéressant dans le rapport douleur/solidité : une fois le pied bien enfoncé dans la fissure, je n’avais plus peur de tomber. C’était rassurant. Puis, je me suis demandé ce qui arriverait si je tombais à la renverse : faudrait-il m’amputer à la cheville?  Plus inquiétant. 

Heureusement, je suis arrivée en haut des vingt-huit seuls mètres que j’aurai accepté de grimper cette journée-là. Mes pieds endoloris se sont rapidement extirpés des chaussons maudits. 

Je n’étais pas séduite, mais j’avais appris quelque chose.

Quand ma tête a enfin émergé de la zone, j’ai remarqué la vue sur le Howe Sound, le Chief et le quartier résidentiel au milieu duquel nous nous trouvions. J’ai fait le plein. Ça m’a apaisée tandis que je continuais à masser mes orteils.

En fin négociateur, Yoann a réussi à échanger mes services d’assurage contre des chaussons aux pommes : c’était la naissance d’une motivation à l’escalade ayant pour monnaie d’échange desserts du McDonald’s et calzones du Save-On-Foods.

Tandis que j’assurais Yoann sur Neat and Cool (5.10a), j’ai été témoin d’un grimpeur qui s’est lancé en solo intégral sur Flying Circus (5.10a). C’était la première fois que je me retrouvais dans une telle situation : je ne savais pas si j’étais plus impressionnée ou terrorisée. Quand il a commencé à dégrimper la voie, je ne savais plus quoi faire de mon corps tant j’étais mal à l’aise. Et non, ce n’était pas Alex Honnold.

La journée s’est conclue au stationnement du Chief à manger du spaghetti rehaussé au parmesan de l’Okanagan… Et des chaussons aux pommes, bien entendu. Ça semble anecdotique, mais après avoir voyagé aussi longtemps, je réalise aujourd’hui que ce que l’escalade m’apporte dépasse le simple fait de grimper. Je pense que je ne serai jamais une grimpeuse de haut calibre, et ça me convient. Je trouve mon plaisir dans le fait d’être dehors, dans l’enchaînement des longueurs, la tranquillité au relais, le soleil qui brûle les épaules (et les mollets et le cou et tout ce qui peut brûler – mets de la crème). J’aime seconder une voie. J’ai aussi découvert, depuis, le plaisir des séquences mémorisées et retravaillées jusqu’à l’enchaînement, des heures à alterner assurage et lecture sous un dévers interminable à l’abri de la pluie battante. Je connais mieux mes préférences et mes forces : j’aime penser que je me spécialise tranquillement, même si je pleure encore parfois et que la promesse de malbouffe reste un grand motivateur. Quand on aime réussir les choses du premier coup, l’escalade est un sport qui force la modestie et le renouvellement des perspectives.

Quant à moi, j’aime grimper parce que je suis toujours en train d’apprendre quelque chose. 

Et sur ce chemin-là, il arrive maintenant que je rentre chez moi les mains, avant-bras et genoux écorchés, les doigts raidis par le froid mordant, en me disant que vraiment, c’était une bonne journée.

Squamish en 5 voies sur lesquelles je n’ai pas pleuré (je pense)

  • Klahanie Crack (5.7) – 1 longueur – Pour apprendre à leader en trad.
  • Skywalker (5.8) – 5 longueurs – Pour sa traverse magnifique de la 4e longueur.
  • Slot Machine (5.8) – 2 longueurs – Pour un multipitch plus court dans un autre secteur.
  • St. Vitus’ Dance (5.9) – 6 longueurs – Parce qu’une journée sur le Apron est une bonne journée. Nous avons troqué les deux premières longueurs pour Calculus Direct (5.9)
  • Exasperator (5.10c) – 2 longueurs – Parce que je ne voulais pas la faire, mais finalement j’étais pas mal fière.

 

5 incontournables quand je pars grimper*

  • Lampe frontale – J’utilise la Revolt de Black Diamond parce que j’aime qu’elle soit rechargeable, mais peu importe le modèle, je ne partirais plus jamais sans… Et j’ai eu à m’en servir plus souvent je l’aurais souhaité.
  • Longe ajustable Dual Connect Adjust de PetzlPasser d’une longe fixe à un modèle ajustable a changé ma vie. Ça me sauve un mal de dos fou quand je pars en multipitch! On la trouve bien entendu à la boutique d’escalade DÉLIRE.
  • Scarpa Helix Certains se plaisent à lever le nez sur les chaussons qualifiés « pour débutants ». Je crois plutôt que le bon chausson d’escalade est celui qui convient à ce que tu grimpes. J’aime les faces avec des petits crimps, les dalles, les multipitchs et les fissures. Je serais probablement bien malheureuse avec un chausson plus agressif. J’aime mes Helix parce qu’ils sont confortables et que les lacets me permettent de limiter les points de pression… Et quand je suis confortable, je grimpe mieux. Surtout, je chiale moins (on a plus de 50 modèles dans notre boutique d’escalade, on a peut-être celui qui t’aiderait aussi à moins chialer).
  • Stick clip « Clip-Up » de Kailas – Non seulement il est léger, télescopique et bleu électrique, c’est aussi un outil parfait pour se faire des amis parce que tout le monde le trouve beau et pratique. 
  • Crocs verts/Souliers d’approche – Selon que je pars grimper sur plusieurs longueurs ou une seule, j’aurai mes inséparables crocs verts pour assurer ou mes souliers d’approche Arc’teryx pour la descente. Les crocs sont faciles à enfiler et me permettent de garder mes chaussons propres jusqu’au dernier moment. Mes souliers d’approche sont légers, ce qui devient pertinent quand il faut les hisser sur six longueurs. En plus, ils sont beaux beaux beaux.

* Je liste ici des extras fancys qui me rendent heureuse, mais rien de tout ça ne remplace mon Platypus pour l’eau, une couche de vêtements supplémentaire adaptée à la météo, un topo clair et un casque!

Vanessa est une curieuse de nature et touche-à-tout. Monitrice d’escalade chez DÉLIRE, elle est aussi bachelière en enseignement. Elle déteste toute forme de compromis et la pulpe dans le jus d’orange. Quand elle n’est pas dehors, elle se laisse hameçonner par des livres qui s’y déroulent. Elle bascule facilement entre émerveillement et indignation, ce qui donne souvent lieu à de grandes envolées passionnelles. Elle est particulièrement sensible aux instants de vulnérabilité du quotidien brut avec lesquels elle entretient une tumultueuse relation amour-haine.  Le meilleur endroit où rabouter la courte-pointe de ses intérêts est sa page Instagram : http://instagram.com/van.in.the.van. Un jour, elle mettra de l’ordre dans sa vie. En attendant, elle écrit.

DÉLIRE escalade est un regroupement de trois centres d’escalade et une manufacture spécialisée dans la production de murs d’escalade.

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